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Bien gérer le présent et préparer un avenir meilleur

Entretien avec Mario Grotz, Président - LES ANNÉES SE SUIVENT, MAIS NE SE RESSEMBLENT PAS. SI LA CRISE SANITAIRE A MOBILISÉ LES ESPRITS EN 2020 ET 2021, CELLE-CI A RAPIDEMENT ÉTÉ BALAYÉE EN 2022 PAR L’INFLATION ET LA CRISE ÉNERGÉTIQUE DÉCLENCHÉE PAR LA GUERRE EN UKRAINE. FACE À TOUS CES SOUBRESAUTS DE L’ACTUALITÉ PONCTUÉS PAR UNE CYBERATTAQUE EN JUILLET 2022, CREOS A SU RÉAGIR VITE EN RÉACTUALISANT SES PLANS DE PRÉPARATION AUX RISQUES DE COUPURE D’ÉLECTRICITÉ ET DE GAZ, EN LANÇANT LE « STROUMMONITOR », EN INTÉGRANT LE FACTEUR INFLATION DANS SES FUTURS INVESTISSEMENTS ET EN MAÎTRISANT RAPIDEMENT ET EFFICACEMENT L’INTRUSION INFORMATIQUE. MAIS LE GESTIONNAIRE DE RÉSEAUX NE S’EST PAS CONTENTÉ DE GÉRER LE PRÉSENT, IL A ÉGALEMENT PRÉPARÉ L’AVENIR.

EN 2022, CREOS A POURSUIVI LE RENFORCEMENT DE SON RÉSEAU ÉLECTRIQUE ET A PRIS UNE PART ACTIVE DANS LA PRÉPARATION D’UNE EUROPE PLUS VERTE AVEC, EN POINT DE MIRE, LA MISE EN PLACE D’UN RÉSEAU DE TRANSPORT D’HYDROGÈNE.

Afin de tenir compte de la crise énergétique et de la nouvelle situation géopolitique créée par la guerre en Ukraine, le Gouvernement a procédé durant le dernier trimestre 2022 à une mise à jour des plans de préparation aux risques de coupures d’électricité et de gaz. De quoi s’agit-il exactement ?

Conformément aux dispositions légales, Creos dispose de plans d’urgence pour les réseaux de gaz et d’électricité. Ces plans prévoient entre autres le délestage. Celui-ci consiste à réduire sensiblement la consommation d’énergie par une restriction ou une suspension temporaire de la fourniture pour une partie des usagers, tout en garantissant la sécurité des consommateurs. Cette démarche est utilisée en dernier recours pour prévenir une situation exceptionnelle qui met en péril la sécurité d’approvisionnement ou l’intégrité des réseaux afin de répondre à d’éventuels incidents techniques d’envergure. Suite à la crise énergétique actuelle et l’éventuel risque de pénurie d’énergie à une échelle plus globale, ces plans d’urgence ont été réactualisés en étroite coordination avec le ministère de l’Énergie. Creos a ainsi revu la liste des consommateurs industriels qui seraient concernés par les coupures et les procédures ont été discutées avec les parties concernées et les autorités pour aboutir à des plans d’action coordonnés visant à limiter dans la mesure du possible les conséquences économiques et financières. Des interventions graduelles, par phases, sont prévues en fonction de la gravité de la situation. Figurent en dernier lieu les clients protégés, à savoir les consommateurs résidentiels, les bâtiments collectifs comme les écoles et les maisons de retraite ainsi que les infrastructures critiques comme les hôpitaux.

Cela étant, il faut relativiser. Le risque de pénurie au Luxembourg pendant tout cet hiver n’a pas été plus élevé que les années précédentes. Nous restons néanmoins prudents et préparés : le risque zéro n’existe pas et on ne sait jamais quel scénario catastrophe peut survenir. Nous restons en contact étroit avec les gestionnaires de réseaux des pays voisins ainsi qu’avec les organes européens multilatéraux activés à cet effet et suivons la situation au jour le jour.

En réponse à la crise énergétique, l’État luxembourgeois a fortement encouragé ses citoyens à changer leur comportement au profit de la sobriété énergétique et à investir dans la rénovation énergétique de leur logement en prolongeant et en réorientant les aides financières. Est-ce que cette politique a eu un impact sur la consommation globale du pays en gaz et en électricité pour l’année 2022 ?

Oui, sans aucun doute. Si nous comparons la consommation des mois d’août à décembre 2022 avec la moyenne des 5 années précédentes, nous constatons une diminution importante de la consommation d’énergie. La consommation de gaz a baissé de 40 % pour les clients haute pression – majoritairement les industries – et de 20% pour les clients moyenne et basse pression. Quant à l’électricité, c’est surtout au niveau des clients haute tension – toujours les clients industriels – que la baisse a été la plus significative : – 16 %.

Creos a lancé en décembre 2022 l’outil « StroumMonitor ». Quel est son objectif et comment fonctionne-t-il ?

Consultable sur notre site Internet (www.creos.net), « StroumMonitor » est un outil graphique qui indique, pour le jour et les trois jours à venir, les prévisions de charge nationale. Les quatre heures de la journée où les pics de consommation sont attendus et pendant lesquelles il est primordial de faire attention sont indiquées par des barres blanches. Le but est d’inciter les particuliers et les entreprises à réduire leur consommation durant ces heures de pointe pour limiter au maximum la production d’électricité provenant d’énergies fossiles et mieux utiliser les énergies renouvelables au moment où elles sont disponibles.

L’autre objectif du « StroumMonitor » est d’informer la population en cas de tension sur le système électrique. La couleur de l’outil peut ainsi varier en fonction du niveau de vigilance. Trois niveaux de vigilance ont été définis avec, pour chacun, un plan d’action adéquat. Quand le signal est vert, le système électrique est en équilibre, mais il est toujours recommandé d’éviter les heures de pointe. Quand le signal est orange, le système électrique est tendu et les clients sont invités à réduire leur consommation. Quand le signal est rouge, le système électrique est très tendu et les clients doivent limiter leur consommation au maximum pour éviter toute coupure. À date d’aujourd’hui, le signal est toujours resté vert.

Depuis début 2022, l’inflation atteint des niveaux records en Europe et le Luxembourg n’est pas épargné non plus. Quelle politique Creos a-t-il mise en place pour maîtriser ses coûts de production ?

Les prix du matériel de maintenance et d’investissement comme les conduites, les câbles et les transformateurs ont augmenté de manière significative ces derniers mois. Cette augmentation a atteint un tel niveau que nous avons dû introduire dans nos plans d’investissement pour les années à venir un facteur d’inflation qui oscillera entre 10 et 20 millions d’euros à partir de 2024. S’y ajoute le coût lié aux frais du personnel qui augmentent avec l’indexation légale, désormais plus que par le passé. Par contre, l’inflation n’aura aucun impact sur notre bilan financier. Comme notre métier est une activité régulée et soumise au contrôle de l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR), nous pouvons répercuter les surcoûts de production sur le tarif d’utilisation des réseaux. Le régulateur veille toutefois à ce que cette augmentation tarifaire à charge de nos clients se fasse dans les limites du droit applicable.

Le Groupe Encevo, et notamment Creos, a été victime d’une cyberattaque dans la nuit du vendredi 22 au samedi 23 juillet 2022. Que s’est-il passé exactement et quelles en ont été les conséquences ?

Avant de répondre à cette question, il faut préciser que nous ne sommes malheureusement pas les seuls à être l’objet de telles attaques. Chaque jour, des milliers de tentatives d’intrusion informatique ont lieu au Luxembourg. De plus, des gestionnaires de réseaux comme nous sont de plus en plus ciblés un peu partout en Europe. En ce qui concerne la cyberattaque de juillet 2022, celle-ci trouve son origine dans une usurpation d’identité. Les usurpateurs, un groupe de pirates informatiques relativement connu dans le milieu de la cybercriminalité, nous ont volé un volume important de données et ont menacé de les publier sur le darknet si nous refusions de payer la rançon exigée. Bien entendu, nous n’avons pas cédé à ce chantage. Nos équipes informatiques ont travaillé d’arrache-pied pendant tout le week-end qui a suivi la cyberattaque. Leur intervention rapide et efficace a permis de mettre fin à l’intrusion avant qu’elle ne s’étende sur l’ensemble de nos serveurs. Aucun tiers, qu’il s’agisse d’un client, d’un fournisseur ou de toute autre partie prenante, n’a subi un quelconque dommage et la sécurité d’approvisionnement a été garantie à tout moment. Pour nous, c’est le plus important.

Comment éviter qu’une attaque de ce genre ne se reproduise ?

Nous avons accéléré notre plan d’action cybersécurité. Aujourd’hui, une intrusion telle que nous l’avons connue ne pourrait plus se reproduire. Je dois également ajouter que seul le volet administratif de nos activités a été touché par la cyberattaque de juillet 2022. Nos unités les plus critiques comme les systèmes informatiques liés au Dispatching, notre centre de contrôle et de conduite des réseaux d’électricité et de gaz à l’échelle nationale, disposent d’une infrastructure en îlot, indépendante et sécurisée, et n’ont pas été atteintes par l’attaque.

Dans quels secteurs ont été consentis les investissements les plus importants en 2022 ? Les montants ont-ils dépassé ceux de 2021 ?

Non, ils sont même légèrement inférieurs à ceux de l’année précédente, et ce, pour deux raisons principales. La première est la fin de notre plan d’investissement dans nos bâtiments avec l’inauguration en 2022 de notre nouveau siège et Centre de Luxembourg-Ville à Merl. La seconde est la réduction progressive de nos investissements dans le réseau gazier puisque celui-ci n’est et ne sera plus étendu. La majeure partie de nos investissements en 2022 a été dédiée au renforcement et à l’extension de notre réseau électrique. Ceux consacrés à la basse tension ont même dépassé notre budget, en partie à cause de l’augmentation du coût de certains équipements. Nos investissements dans la digitalisation ont également été maintenus à un niveau élevé.

Précisément, en ce qui concerne l’extension du réseau électrique, quel est l’état d’avancement du projet 380 ?

Nous sommes en ligne avec le plan tel qu’il a été défini initialement. Le calendrier et le budget ont été respectés à ce jour. Les études d’évaluation des incidences sur l’environnement ont été transmises au ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable pour y donner la suite prévue par la législation, à savoir le transfert aux autorités pour avis et consultation publique. À l’heure où je vous parle, certains points du dossier doivent être complétés et précisés par Creos suite aux commentaires émis par les communes concernées et le ministère de l’Environnement avant la consultation proprement dite. Nous comptons recevoir les autorisations administratives d’ici fin 2023 et débuter la réalisation des travaux l’année suivante.

Trois séances d’information sur le projet 380 ont eu lieu dans les principales communes concernées (Bertrange, Junglinster et Steinsel) en octobre 2022. Comment se sont passées ces séances ?

Plutôt que d’assister à une traditionnelle présentation du projet, les gens ont pu s’informer par eux-mêmes durant ces séances en consultant les panneaux d’information, en découvrant les différentes variantes analysées via une visualisation en 3D des tracés et en échangeant avec les experts de Creos. Cette volonté de transparence de notre part a été très bien accueillie par les responsables politiques locaux et la majorité des concitoyens. Ils ont bien compris la nécessité de ces investissements et ont apprécié le soin que nous avons apporté dans nos tracés pour protéger la nature et la population.

La première phase de la plateforme informatique nationale et centralisée des données énergétiques – Leneda – sera mise en service à partir de mi-2023. Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste cette plateforme, et plus précisément cette première phase ?

En tant que TSO (Transmission System Operator), Creos a reçu pour mission de mettre sur pied une plateforme nationale des données énergétiques, que nous appelons désormais Leneda. Celle-ci a pour objectif de collecter toutes les données de consommation et de production de gaz et d’électricité, de les mettre à disposition des différents acteurs du marché et de simplifier les communications entre eux. En collaboration avec le ministère de l’Énergie et l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR), nous avons commencé par définir les principales fonctionnalités de cette plateforme, à savoir une standardisation accrue des procédures de marché, une meilleure qualité des bases de données, une granularité plus fine des données accessibles et les services de base essentiels.

Après plusieurs mois de travaux préparatoires, nous allons à présent lancer la première phase de ce projet qui en comptera deux. Le lancement est prévu pour l’été 2023 et englobera toutes les données relatives au gaz et à l’électricité des acteurs les plus sensibles à la transition énergétique, c’est-à-dire les grands clients qui disposent de compteurs spéciaux différents des compteurs Smarty, les producteurs et fournisseurs d’énergie ainsi que toutes les communautés énergétiques présentes dans le pays. Au total, plus de 25.000 points de fourniture seront intégrés dans la plateforme. Ensuite, dans une seconde phase, la plateforme sera élargie à l’ensemble des clients. Cet élargissement se fera de façon graduelle et sa finalisation est prévue pour 2027 ou 2028.

Quels sont les prochains défis de Creos dans les années à venir, principalement dans le cadre de la transition énergétique ?

Comme vous le savez, le pacte vert pour l’Europe voté par la Commission européenne veut atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. À cette date, la production énergétique devra être entièrement décarbonée et plus de 80% de l’électricité devra être produite à partir des renouvelables. Creos, à l’instar des autres gestionnaires de réseaux au sein de l’Union européenne, a sa part de responsabilité dans la poursuite de l’objectif d’une Europe plus verte et plus digitale. Or les défis sont nombreux.

Le premier a trait à l’électricité. Dans les 30 à 50 années à venir, la demande en électricité va augmenter de manière exponentielle, particulièrement en raison d’une digitalisation croissante, d’une mobilité électrique qui prendra de plus en plus d’ampleur et de la décarbonisation de la filière chaud/froid des immeubles. Nous devons nous y préparer. Pour ce faire, nous devons augmenter la puissance de nos transformateurs et renforcer les capacités de notre réseau électrique en passant de 220 kV à 380 kV et de 65 kV à 110 kV. À cela viennent s’ajouter les potentiels de flexibilité décentralisée au niveau de l’infrastructure de distribution de basse et moyenne tension. De plus en plus de particuliers vont devenir à la fois des clients du réseau et des producteurs d’énergie en s’équipant, par exemple, de panneaux photovoltaïques. Il nous faudra dès lors injecter dans notre réseau électrique de plus en plus d’intelligence capable d’anticiper plus finement l’offre et la demande pour pouvoir utiliser au mieux les capacités du réseau et profiter de ces potentiels de flexibilité décentralisée.

Le deuxième concerne le gaz. Nous devons maintenir dans de bonnes conditions de fonctionnement le réseau de gaz naturel tout en réduisant au maximum les coûts. En effet, la consommation de gaz naturel, surtout utilisé comme chauffage dans les logements, est vouée progressivement à disparaître dans le contexte de la décarbonisation. L’utilisation des réseaux de gaz naturel doit rester abordable en phases de régression des volumes acheminés.

Enfin, l’hydrogène sera appelé à jouer un rôle important dans les années à venir, en particulier dans l’industrie responsable à elle seule de 17 % des émissions de CO2. Pour le moment, nous ne sommes pas encore mandatés pour gérer la distribution de cette source d’énergie. Des décisions doivent encore se prendre à l’échelle européenne, mais il est quasi certain que Creos recevra dans le futur la mission de mettre en place un réseau de transport d’hydrogène connecté aux opérateurs des pays limitrophes. Nous y travaillons déjà. Nous participons à des études sur le sujet en étroite collaboration avec des clients industriels et partenaires potentiels. Nous sommes également partie prenante de l’« European Hydrogen Backbone (EHB) », une initiative regroupant 31 gestionnaires de réseaux européens et visant à promouvoir le développement d’un marché paneuropéen de l’hydrogène compétitif et liquide, produit par procédés renouvelables et à faible teneur en carbone.

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