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Et si la Terre n’était jamais qu’un vaisseau spatial comme les autres ?
La comparaison pourrait sembler audacieuse. Elle émane pourtant d’un économiste américain réputé, Kenneth Ewart Boulding. Dans son essai The Economics of the Coming Spaceshift Earth publié en 1966, il propose de passer de l’économie du cow-boy à l’économie de l’astronaute. Dans l’une, la Terre est perçue comme un monde infini aux richesses inépuisables. Dans l’autre, notre astre est au contraire vu comme un vaisseau spatial isolé, où aucun déchet ne peut sortir et où aucune autre ressource ne peut arriver.
Si l’idée d’extrapoler sur Terre l’expérience de la station spatiale fut largement contestée à l’époque de la parution du livre, elle ne l’est plus du tout de nos jours. L’économie circulaire est devenue aujourd’hui la priorité. Or les vaisseaux spatiaux fonctionnent comme des économies circulaires à petite échelle et les technologies conçues au départ pour l’espace pourraient être adaptées et optimisées sur Terre.
Des panneaux solaires et des batteries plus performantes
C’est notamment le cas de l’énergie. Tous les systèmes à bord d’un engin spatial fonctionnent avec une énergie produite sur place. Selon les missions, diverses sources d’énergie sont utilisées. Les vaisseaux, satellites et stations en orbite autour de la Terre utilisent l’énergie fournie par des panneaux solaires photovoltaïques soutenus par une batterie (lithium-ion ou nickel-hydrogène) pour couvrir les périodes sans exposition au soleil. Même si ces technologies sont déjà appliquées sur Terre, celles-ci sont bien plus performantes dans l’espace. Le rendement des cellules solaires des engins spatiaux est nettement supérieur à celui des cellules solaires traditionnelles sur Terre : jusqu’à 33,7% pour les cellules à multijonctions composées de semi-conducteurs comme l’arséniure de gallium contre 15% à 12% pour les panneaux solaires terrestres les plus performants. De même, les batteries utilisées dans les engins spatiaux résistent à un nombre plus élevé de cycles de charge et de recharge que les batteries lithium-ion équipant les voitures électriques : plus de 30.000 contre seulement 1.000 à 1.500 en moyenne.
Verra-t-on un jour ces cellules et ces batteries ultra-performantes fonctionner sur Terre ? Il est difficile d’y répondre à l’heure actuelle, mais on pourrait très bien l’imaginer dans un avenir plus ou moins proche.
Recycler le CO2 sans un brin d’herbe
Les technologies utilisées dans les vaisseaux spatiaux nous aident également à épargner les ressources fossiles qui, en brûlant, ajoutent du CO2 dans l’atmosphère et contribuent au réchauffement climatique. Ainsi, dans la station spatiale internationale (ISS), le CO2 est capté sélectivement dans l’atmosphère. Ensuite, il réagit avec du dihydrogène (deux atomes d’hydrogène liés entre eux) pour former du méthane (CH4) et de l’eau (H20). Une partie de cette dernière va servir pour générer de l’oxygène et de l’hydrogène par électrolyse. L’équipage économise ainsi les ressources en eau et en oxygène, forcément limitées, apportées de la Terre.
Ce procédé est très proche d’une technique pionnière utilisée sur Terre pour produire de l’e-méthane (ou méthane de synthèse). L’hydrogène produit par les électrolyseurs réagit avec le CO2 capturé dans les fumées d’une usine, par exemple, et génère du méthane, directement injectable dans les réseaux de gaz. Si le produit principal recherché est différent dans la station spatiale – l’oxygène – et sur Terre – le méthane -, les deux procédés poursuivent le même objectif, à savoir augmenter l’efficacité de la chaîne en utilisant notamment de nouveaux matériaux de capture du CO2 comme les MOF (Metal-Organic Frameworks), des structures de type polymère très poreuses, et de nouveaux catalyseurs pour la production d’e-méthane. Les performances des deux procédés pourraient également être augmentées en intégrant les différentes étapes. On pourrait ainsi utiliser la chaleur générée par la méthanation pour couvrir les besoins de la capture du CO2.
Des bactéries pour réduire notre empreinte environnementale
Les solutions envisagées pour produire de la nourriture dans les stations spatiales lors de missions longues sont également une source d’inspiration pour réduire notre empreinte environnementale. On pourrait notamment citer l’utilisation de bactéries capables d’oxyder l’hydrogène comme le Cupriavidus necator. Ces micro-organismes, qui se trouvent principalement dans le sol et l’eau, transformeraient le dihydrogène (H2) et le dioxyde de carbone (CO2) en une biomasse riche en protéines et en nutriments. Comme évoqué plus haut, le dihydrogène (H2) pourrait être créé à partir de l’électrolyse de l’eau et du CO2 capté dans l’atmosphère.
L’utilisation de ces bactéries constituerait une alternative bénéfique pour le climat sur Terre. Grâce à elles, de la nourriture serait produite pour les êtres humains et les animaux en gaspillant moins de terres et d’eau, en émettant moins de gaz à effet de serre et sans utiliser de pesticides ou d’antibiotiques !
Évidemment, toutes les technologies évoquées ci-dessus ne seront pas applicables dans l’immédiat, mais il faudra bien qu’elles le soient un jour ou l’autre si on ne veut pas que notre vaisseau spatial devienne à la longue inhabitable pour les astronautes que nous sommes tous.